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Sorj Chalandon, l’engagement et le poids des mots

Par Clémentine Maligorne | 22/03/2009 | 3 897 visites |  Imprimer  |  Envoyer à un ami  |  

Pendant 22 ans, Sorj Chalandon a couvert pour Libération de nombreux conflits. A 56 ans, ce grand reporter de guerre est devenu romancier et scénariste. Son dernier roman, Mon Traître, décrit sa passion pour l’Irlande et son engagement pour les républicains de l’IRA.

Vous souteniez la cause républicaine en Irlande du Nord face aux Anglais. Comment était-ce conciliable avec votre mission de reporter-journaliste ?
Un reporter n’a pas à dire ce qu’il pense. Le reporter est sur place. Il rapporte ce qu’il voit. J’ai été reporter de guerre pendant des années.

Mon travail était d’être le plus objectif possible et de rapporter la vérité des faits. Mais sous le journaliste, il y a toujours un homme subjectif. Ma subjectivité passait dans le choix des mots.

Par exemple je n’ai jamais employé le terme « terrorisme » pour parler de la branche indépendantiste armée de l’IRA. Je parlais « d’organisation ». Je n’ai jamais rien caché. Je n’ai jamais eu peur de la vérité des faits.

Ce qui me guide, c’est la dictature des faits. Je suis là pour rapporter et comprendre.

D’où vient cet engagement pour la défense des minorités opprimées ?
Enfant j’étais bègue et petit. Isolé dans la cours de récréation, j’ai été pris de tendresse pour tous les isolés d’un coin de culture. C’est ce que je raconte dans mon premier roman, Le petit Bonzi. L’enfance est un pays dur.

J’ai appris à me défendre au poing et à me battre. Je me suis ensuite engagé à l’extrême-gauche. Puis j’ai voulu mettre mes mots au service des peuples persécutés.

Comment êtes-vous parvenu à vous engager en tant que journaliste ?
En 1973 je suis entré à Libération, au moment de sa création. Le slogan c’était : « Peuple prend la parole et garde la. » On voulait un journal militant. Libération était un moyen de continuer la lutte autrement que par la violence.

Je me souviens avoir couvert une manifestation de militantes du MLF. Elles n’étaient que trois cents mais j’avais écris « mille ». L’important c’était de donner de l’ampleur à ce mouvement. La vérité était bourgeoise. Nous avions notre vérité à nous.

En 1981, les gauchistes de Libé sont partis quand Serge July est arrivé à la tête du journal. Il voulait faire un journal objectif et inattaquable. J’ai compris alors que seule la vérité des faits était révolutionnaire. Si j’avais écris « trois cents », les autres femmes auraient sans doute réagit.

Comment devient-on écrivain après avoir écrit pendant trente-quatre ans dans un journal ?
Je suis passé de l’écriture de presse à l’écriture romanesque parce que la presse m’a quitté. Je suis parti de Libération en 2006 dans le cadre d’un plan de départs volontaires. C’est ainsi que j’en ai fini avec les faits et que je suis devenu écrivain.

Je considère la fiction comme le reportage. On débute par une image on termine par une image. Comme un envoyé spécial, je décris la fumée, le désarroi, la peur. Je cherche toujours à rendre mes récits possibles. Tout doit sembler vrai.

Pour l’écriture de Mon Traître, j’ai passé deux mois avec un luthier pour créer mon personnage principal. Comme un journaliste, j’avais besoin de voir l’artisan à l’œuvre dans son atelier, d’avoir le nom de ses instruments.

J’ai gardé du journalisme qu’il ne faut jamais trahir ni les faits ni les mots car ils se vengent toujours.

  • Mon traître, de Sorj Chalandon. Ed. Grasset, 288 pages, 17,90 euros.

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