Amérique latine : la presse sous pression
L’année 2008 aura été meurtrière pour les journalistes latino-américains. Bilan : 26 morts. Comment expliquer une telle violence ?
La liberté de la presse progresse en Amérique latine. Mais elle reste à conquérir. Les journalistes de la région en savent quelque chose. Vingt-six d’entre eux l’ont payé de leur vie, l’année dernière. Cette violence n’est pas nouvelle. Elle n’en reste pas moins choquante.
Le Mexique détient un triste record avec onze journalistes tués en 2008. En octobre dernier, Teodoro Rentería et Juan Carlos Camaño, président et vice-président mexicains de la Felap (Fédération des journalistes latino-américains), ont présenté leur rapport sur la liberté de la presse au Mexique. « Notre pays est le deuxième au monde à enregistrer le plus de meurtres, de disparitions et d’attentats contre les professionnels de la presse, après l’Irak ». Et de rappeler que 81 journalistes ont été éliminés ces vingt-cinq dernières années au Mexique.
« La liberté de la presse varie selon les pays »
Benoît Hervieu, journaliste, spécialiste des Amériques à Reporters sans frontières (RSF), estime que « la liberté de la presse en Amérique latine varie selon les pays, leur histoire, leur situation politique ». Un rapide panorama est établi. « A Cuba, l’espace médiatique est verrouillé. Deux journaux officiels prétendent informer les citoyens : Granma et Juventud Rebelde. Vingt-trois journalistes y sont emprisonnés dont notre correspondant, Ricardo González Alfonso, depuis 2003. » Le pays est en noir sur la carte mondiale de la liberté de la presse établie par RSF.
« Au Mexique et en Colombie, les journalistes sont très menacés même si le pluralisme et la liberté des médias sont reconnus. La Colombie est un pays en guerre, où des groupes armés - les Farc et les paramilitaires - échappent au contrôle du gouvernement. Au Mexique, les narcotrafiquants se disputent le contrôle du territoire, la police est très corrompue et le gouvernement fédéral est faible. » Les deux pays sont en rouge sur la carte de RSF.
« Au Venezuela et au Pérou, il y a des « foyers de violence ». Surtout au Venezuela, où la polarisation idéologique a entraîné une « guerre médiatique » entre le président Chavez et l’opposition. Car Chavez contrôle la plupart des chaînes de télévision. » Le Pérou et le Venezuela sont en gris foncé.
« En Équateur et en Bolivie, la situation est plus complexe. Les médias font parfois des procès en légitimité à des présidents légalement élus. » En Équateur, la violence reste essentiellement verbale. Mais en Bolivie, les journalistes sont agressés par les autonomistes et les opposants au président Evo Morales, selon les médias qu’ils représentent. Les autres pays, dont l’Argentine, le Chili et l’Uruguay, « offrent des garanties sérieuses à la liberté de la presse ».
« En Colombie, il n’y a pas de crime d’Etat »
Eduardo Mackenzie, 61 ans, vit à Paris depuis vingt-quatre ans. Correspondant de divers médias colombiens, il a longtemps travaillé pour Semana et El Espectador. Spécialiste des Farc, il considère qu’ils sont avec les cartels de la drague la première menace pour les journalistes colombiens.
« Malgré le climat de violence qui règne en Colombie, l’état de droit est respecté. Il n’y a pas de censure, pas de journalistes emprisonnés et la presse subit beaucoup moins de procès en diffamation qu’en France ! » Le journaliste insiste sur une forte tradition d’investigation et d’impertinence à l’égard du pouvoir.
« Depuis l’arrivée au pouvoir d’Alvaro Uribe, en 2002, l’insécurité a été fortement réduite. Les FARC sont affaiblies et des policiers protègent les journalistes menacés. » Les journalistes tués sont victimes des trafiquants, des guérilleros ou de policiers corrompus. « En Colombie, il n’y a pas de crime d’Etat », conclut Eduardo Mackenzie.
« Au Mexique, la presse est libre ! »
Antonio Goût de Montellano, 65 ans, vit en France depuis une trentaine d’années. Correspondant d’une agence de presse qu’il a fondé au Mexique, Alterpress, il est aussi président de l’Association de la presse latino-américaine.
« Au Mexique, la violence contre les journalistes est due aux barons de la drogue. Le gouvernement, lui, les protège ! S’il y a une vingtaine d’années, la presse était très corrompue, aujourd’hui, elle est libre ! » L’Etat mexicain veut mettre la pression à la pègre, pas à ses citoyens. Ce n’est pas le cas dans toute l’Amérique latine…
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