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Eric Jolly, un anthropologue au pays dogon

Par Laurent Firdion | 1/02/2009 | 3 901 visites |  Imprimer  |  Envoyer à un ami  |  

A 18 ans, il sillonnait déjà l’Afrique de l’Ouest. Ce baroudeur, désormais chercheur au CNRS, a su faire d’une passion son métier.

Eric Jolly n’a rien du cliché de l’universitaire penché sur des livres poussiéreux. Son bureau dans l’antenne du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) à Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne) n’est qu’une étape sur la route qui le ramène inlassablement vers les terres ocres du Mali.

Son corps trapu surmonté d’une bouille toute ronde lui donne une allure chaleureuse. Son visage, perdu dans une barbe, est jovial et rieur. Il porte une chemise à carreau décontractée et un pantalon de toile bleue. L’homme de 47 ans ne fait pas son âge et garde une éternelle jeunesse.

Peut-être parce que voilà quatre ans seulement qu’il s’est « posé » dans un bureau. Pourtant, il ne l’occupe qu’à moitié. Les étagères sont étrangement dégarnies. « Je travaille surtout chez moi », s’excuse-t-il. Quelques livres des pères de l’ethnologie et des ouvrages sur la bière occupent l’espace. Son mémoire de maîtrise et sa thèse portaient sur la bière de mil fabriquée par les Dogons, peuplade du Mali.

Un tapis africain sur la table de travail est l’unique objet qui indique que nous sommes dans le bureau d’un africaniste. « Pour cacher la misère du mobilier », précise-t-il en riant. Pas d’armes ni de masques tribaux. Il les a laissés dans la maison de son père.

Un panneau de l’association Sauvons la Recherche trône sur un meuble et des caricatures moquant Valérie Pécresse, ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, sont dispersées dans la pièce. Eric Jolly a la dent dure contre le gouvernement. Il l’accuse de vouloir mettre fin à la liberté de recherche du CNRS en imposant à l’Institut une logique d’entreprise basée sur la concurrence.

La précarité a émaillé son parcours avant l’obtention de ce poste. Ses galères en France rendraient presque banales à ses yeux les péripéties qu’il a connues en Afrique.

Paludisme

Tout a commencé à l’âge de 14 ans. Son frère Jean-Michel et lui sont passionnés par les animaux. Ils convainquent leur père, cadre dans la finance, d’organiser un voyage au Zaïre. « Je me demande encore comment il a pu accepter ! », s’exclame Eric Jolly. Le confort est très rudimentaire. Les enfants repartent cependant avec de belles images plein les yeux. « Un seul manque dans ce voyage : le contact avec les gens. »

La dictature de Mobutu Sese Soko ne favorisait pas les échanges. Son père avait été arrêté quelques heures par la police politique du Zaïre parce que les deux adolescents avaient publiquement critiqué le régime.

Le véritable voyage initiatique pour le chercheur a lieu alors qu’il a seulement 18 ans. Avec deux amis, il part en Afrique de l’Ouest. Une expédition qui les conduit du Sahara au pays dogon. Eric découvre une population et une culture qui vont le lier à jamais avec la région. Le transport est pourtant pittoresque. Camion de dattes, taxi-brousse, bateau.

Leur descente sur le fleuve Niger dure quatre jours. En quatrième classe - la moins chère. Ils dorment sur le pont du transporteur. Entassés les uns sur les autres, les passagers ont à peine la place de s’allonger. « A la fin, cette promiscuité était source de bagarres entre les passagers », se rappelle M. Jolly sans amertume.

Lors de ses voyages suivants, il opte pour la bicyclette ou le cheval. Ce baroudeur déclare n’en garder aucun mauvais souvenir. Même quand, lors de la traversée à vélo du Burkina Faso, il contracte une hépatite et le paludisme. L’aventurier n’a pas interrompu son voyage pour rentrer en France ! « J’ai eu des crises de fièvre, puis c’est passé », raconte-t-il sobrement.

Le Mali a sa préférence. « Le paysage magnifique, les gens, la bière de mil savoureuse m’ont convaincu ». Il va s’installer dans le village de Konsogu niché sur le rebord oriental du plateau dogon.

Les études d’anthropologie à l’Université de Nanterre sont pour lui une façon de vivre sa passion.

Aujourd’hui, ses travaux portent sur la littérature orale dans le pays Dogon, mais aussi sur la sorcellerie en Afrique comme instrument de pouvoir. Alors que Claude Levi-Strauss a fêté ses 100 ans, il ne veut pas voir l’anthropologie disparaître. Alors il va troquer la bière de mil pour une pancarte et aller manifester.

  • Article rectifié le 1/02/09 à 19h35.

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Un commentaire »

  • Laetitia Firdion dit :

    Bravo, très beau portrait!

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