“Le sport peut recréer du lien social en Afghanistan”
Présent dans six régions défavorisées du monde, l’association Sport sans frontières (SSF) offre des programmes d’éducation et de développement par le sport. Depuis sept mois, Cyril Jaurena y participe en tant que responsable de la mission en Afghanistan. Entretien.
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Sur quels projets travaille SSF à Kaboul ?
Notre activité a deux facettes. La première consiste à intervenir dans le cadre scolaire. En Afghanistan, l’éducation au sport est souvent absente de la formation des instituteurs. Nous tâchons donc de leur apporter cet enseignement en valorisant l’intérêt du sport comme outil éducatif : connaître le corps de l’enfant, son développement, les jeux créateurs de lien social…
Le reste de nos activités se déroule dans des endroits plus informels et sont axées autour des enfants et des femmes.
Dans le quartier Deh Qabel, où se trouve la communauté Hazara (minorité ethnique la plus discriminée du pays, N.D.L.R.), nous avons mis en place une plateforme sportive. Toute la semaine, des éducateurs proposent des activités pour les enfants du quartier. La plupart sont déscolarisés et travaillent toute la journée à la fabrication de tapis.
Pour les femmes, nous organisons de multiples activités : construction d’infrastructures, cours de sport, formation des professeures dans les écoles de filles, conseil auprès des travailleuses sociales…
Pourquoi les femmes ?
Sous les talibans, les femmes n’avaient pas de personnalité juridique, n’allaient pas à l’école, ne pouvait rien faire… Aujourd’hui, le gouvernement mis en place par la communauté internationale a changé la loi. Mais les mentalités bougent moins vite.
Il existe un tabou sur le corps des femmes en Afghanistan. Celles-ci n’ont jamais réellement la maîtrise d’elles-mêmes. Dans leur enfance, elles appartiennent à leur famille et, une fois mariée, à leur mari. Faire du sport est une manière de s’approprier leur corps, d’en prendre le contrôle, de le connaître.
Notre action a aussi une dimension plus psychologique : à travers le sport, nous cherchons à renforcer la confiance et l’estime de soi.
Le sport a donc une réelle utilité y compris dans des pays durement frappés par la guerre…
Bien sûr. Au début aussi, j’étais sceptique. Pour un pays qui vient de sortir de trente ans de guerre, le sport n’apparaît pas comme une priorité et je me demandais ce que SSF pouvait apporter. Mais le sport peut permettre de recréer des liens sociaux en favorisant des activités non-violentes. Toutefois, il faut du temps pour cela.
Par ailleurs, le système éducatif afghan est en complète reconstruction. La plupart des anciens professeurs sont exilés au Pakistan ou en Iran. Parmi ceux qui enseignent aujourd’hui, peu ont les qualifications requises. Nous voulons leur apporter les enseignements sportifs que, de notre côté, nous avons eu le loisir de développer. Certains le vivent mal, craignant qu’on vienne leur faire la leçon. Ce n’est pas notre objectif, nous voulons les aider à avancer.
Aujourd’hui, 50 % de la population afghane à moins de 18 ans. Beaucoup ne sont pas scolarisés. Tout un système est à reconstruire.
Quelles difficultés rencontrez-vous sur le terrain ?
La confrontation avec l’administration n’est pas toujours simple. Il existe beaucoup de lourdeurs et de corruption.
Notre mission soulève aussi des enjeux politiques. Faire du sport était interdit sous les talibans, ainsi que d’éduquer les femmes. Notre activité ne dérange pas beaucoup et nous sommes appréciés, mais il reste des extrémistes. Nous prenons donc des précautions.
Mais au-delà de l’aspect sécuritaire, c’est aussi une question d’implantation sociale. Si l’on construit un gymnase demain, rien n’indique que les femmes s’y précipiteront. Ce n’est pas encore inscrit dans les mœurs…
Quelle sera la prochaine étape ?
Depuis 2003, plusieurs expatriés se sont relayés sur place pour former des professeurs et éducateurs. Mais une fois de solides bases construites, cela doit tourner tout seul. En mai prochain, la mission doit s’arrêter. La suite reviendra aux afghans…
Un sujet qui sort des sentiers battus, une “une” sur un sujet international, qui n’est pas une catastrophe, je dis bravo
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